«Tu me manques aussi. Jamais je ne pourrais dire ces mots. Je serais bien embarrassé si elle rappelait. Bien obligé d'en informer Aline. Est-ce que je l'informais quand j'écrivais des poésies où le nom d'Alba faisait l'effet d'un fruit que l'on presse sur ses lèvres ? Et le pressant sur mes lèvres j'aspirais goulûment un venin dont le goût, ma foi, ne m'était pas étranger : la trahison. Le traître est un double jouer. Le traître regarde Aline aller et venir, il lui tarde de la voir consulter l'heure en disant : déjà ? pour le gratifier d'un dernier baiser au vol, débarrassant les lieux. Le traître est impatient d'être seul pour mieux échafauder ses manigances et que la voie soit libre quand Alba ne pourra pas s'empêcher de dire à nouveau : tu m'as manqué... A cette idée il n'en peut plus d'excitation. L'après-midi il retourne rôder rue Marie-Rose, ancien quartier d'Alba, il a dormi chez elle, il s'en souvient. On lui dit qu'on ne l'a jamais revue. On se demande ce qu'elle a bien pu faire pour qu'il la décrive avec cette minutie. On pense qu'il est un policier, un amant. Il est évidemment les deux. Il n'oserait jamais l'avouer à son père au cours de la nuit, mais il ressent que sa vie, depuis quelque temps, a un sens. Un mauvais sens ? Tu parles, elle est axée par la trahison. »
[ Yann Queffélec ]